Le terme « bête » désigne dans le dictionnaire un « être appartenant au règne animal autre que l’homme » et traduit l’opposition de l’homme et de l’animal. À l’encontre de cette conception binaire, tous les artistes présents dans cette exposition ménagent une place singulière à l’animal dans leur œuvre, développent un dialogue unique avec leur bestiaire familier. Pour chacun d’eux, l’extérieur, la nature, est primordial dans le processus créatif, dès la phase d’observation, mais aussi par la collecte d’éléments qui serviront à la fabrication d’œuvres, ou bien dans l’évocation ou l’utilisation du paysage en toile de fond.
Si le plasticien convoque des enjeux qui lui sont propres, la représentation d’une figure animale fait écho à de grandes tendances de fond dans les rapports Homme/animal : l’incarnation, l’onirisme, le face-à-face ou la symbolique.
Du 3 juillet au 19 décembre 2021
Artistes invités : Anne Brenner, Stéphanie Cailleau, Nathalie Charrié, Bertrand Gadenne, Delphine Gigoux-Martin, Didier Hamey, Violaine Laveaux, Maël Nozahic, Karine Rougier, Elia Pagliarino, Lionel Sabatté et Camille Scherrer.
L’acte de se revêtir d’une peau de bête pour s’imprégner des qualités de l’animal vaincu apparaît dans certaines traditions chamaniques ainsi que dans les contes. Maël Nozahic, Violaine Laveaux, Camille Scherrer et Stéphanie Cailleau l’utilisent pour proposer une métamorphose en animal par la transformation de la silhouette humaine. Ces œuvres permettent d’adopter le point de vue de l’animal habité. Dans Chevêche de Lionel Sabatté, la figure de la chouette est si monumentale qu’elle devient elle-même un refuge, une caverne matricielle invitant au ressourcement.
D’autres artistes choisissent l’onirisme, le rêve, comme échappatoire à la solitude de l’Homme au sein du monde animal, et créent des univers où hommes et bêtes vivent en harmonie. Si Elia Pagliarino nous présente sa découverte de nouvelles espèces en voie d’apparition, Didier Hamey et Karine Rougier imaginent des mondes hors du temps et des civilisations composés d’êtres hybrides surréalistes.
Parfois aussi, la frontière entre l’Homme et la bête est exploitée pour devenir chez certains artistes un face-à-face ininterrompu, un arrêt sur image permis par la magie de l’art. Anne Brenner, Maël Nozahic et Bertrand Gadenne créent une rencontre déstabilisante, un moment de contemplation réciproque et silencieuse, d’ « inquiétante étrangeté », qui pousse à se demander qui est l’observateur qui est l’observé.
Enfin, la célébration de l’animal pour sa beauté, sa liberté loin de toute présence humaine, transparaît dans les œuvres de Nathalie Charrié, de Delphine Gigoux-Martin, de Lionel Sabatté et de Violaine Laveaux. L’animal est condensé dans sa puissance évocatrice, chargée de symbolique, de mythologie, de mystérieux pouvoirs de métamorphose. Hors de son contexte naturel, la figure animale devient majestueuse voire incantatoire.
La curiosité, dans sa double acception, à la fois envie de connaissance et étrangeté, traduit parfaitement cette posture commune à tous les artistes vis-à-vis de l’animal. Si l’expression « bête curieuse » désigne à l’origine une personne dont le comportement évoque celui d’un animal et donc par association d’idées qui serait dérangeante, le choix de l’utiliser sous sa forme plurielle pour le titre de l’exposition est une manière d’en renverser le sens, de montrer que ces animaux ont beaucoup à nous apprendre sur notre humanité.
Deux figures évocatrices de l’ « ouroboros », ce serpent qui se mord la queue, signe de l’infini recommencement, ponctuent le cheminement de cette exposition pour nous rappeler que si le temps de la civilisation est linéaire, celui de l’animal est cyclique et que, par conséquent, l’affrontement entre nos deux mondes perdure dans le temps.
Commissaire d’exposition : Aude Senmartin