Les expositions laissent parfois des empreintes dans le parc de l’abbaye qui se peuple progressivement de sculptures d’artistes. C’est le cas pour trois œuvres : Souche de Simon Augade à l’occasion de l’exposition « Arbres, Regard d’artistes » en 2018, Chevêche de Lionel Sabatté lors de l’exposition « Bêtes curieuses » en 2021 et enfin Crying d’Adélaïde Feriot en 2025 pour l’exposition « Folies médiévales ».
Simon Augade est né à Bagnères-de-Bigorre en 1987 dans les Hautes-Pyrénées Il vit et travaille à Lorient. Il s’investit tout entier dans des corps-à-corps se confrontant à la matière. L’artiste questionne par des conceptions sculpturales notre relation physique à nos environnements et interroge « la tenue des choses ».Dans ses sculptures-installations qui tentent sans cesse d’agripper l’espace et le spectateur, il aborde les dualités de notre monde. C’est aussi pour lui une façon de mettre en évidence la précarité, la fragilité, l’aspect bancal et éphémère de nos vieset des espaces que l’on se construit. Il entretient un dialogue récurrent entre le géométrique et l’informel, la ligne (comme norme) et le débord, les contraintes intérieures et le besoin irrépressible de les transgresser…
En créant Souche, à l’occasion de l’exposition « Arbres, Regards d’artiste » en 2018, l’artiste a pris le parti de s’emparer de l’élément naturel et millénaire qu’est l’arbre de façon franche, en en montrant une amputation. Ce pied d’un colosse abattu parle paradoxalement d’ancrage et d’absence. Que ce soit des racines ou du reste du tronc, c’est bien des choses non visibles qu’il s’agit. Une partie enterrée, l’autre « déplacée ».
C’est à la fois la dynamique de la vie, le mouvement, le cycle de l’arbre et la force de l’inertie, du figé presque intemporel… vestige d’une fulgurante énergie originelle puisant dans ses racines une histoire qui nous dépasse.
Une fondation sans tête, une élévation sectionnée mais bien enracinée. Contraste entre un élément massif et le fantôme fuyant de la partie manquante, le souvenir fugace de cette vitalité stoppée net. Mais la force reste. On y voit les torsades de l’effort, celles d’une poussée lente et puissante.
Tous les temps sont dans la souche, l’origine, la croissance, la chute puis la mémoire. Le début et la fin fixés au même endroit, un double état condensé ici ; compacte fusion de force tellurique et vitale.
Cette masse sourde subsiste là, face à nous, témoin de notre passage, nous renvoyant à notre propre condition.
Lionel Sabatté est né à Toulouse en 1975. Il vit et travaille à Paris et Pont-Audemer. La sphère du vivant ainsi que les transformations de la matière dues au passage du temps se retrouvent au cœur de son travail. L’artiste a entamé depuis plusieurs années un processus de récolte de matériaux qui portent en eux la trace d’un vécu : poussière, cendre, charbon, peaux mortes, souches d’arbres… Ces éléments sont combinés de manière inattendue et les œuvres ainsi créées portent en elles à la fois une délicatesse mais aussi une inquiétante étrangeté, donnant vie à un bestiaire hybride dans lequel des créatures des profondeurs abyssales côtoient des petits oiseaux des îles oxydés, des ours, des loups, des émeus, des chouettes, mais aussi des licornes… Pratiquant à la fois la peinture, le dessin et la sculpture, Lionel Sabatté tâche de faire dialoguer l’ensemble de ses œuvres dans une interconnexion permanente.
Ses recherches sur le minéral, l’animal, donnent lieu à des œuvres poétiques, sensibles, troublantes qui participent à une réflexion globale sur notre condition et la place que nous occupons dans notre environnement.
A l’abbaye de l’Escaladieu, cette sculpture faite de fer à béton, de ciment, de filasses et de pigments teintés, représente une chouette chevêche. Lionel Sabatté l’a érigée comme une tour ouverte, un totem, à cet animal emblématique et symbole de la déesse Athéna, incarnation de la connaissance et de la protection. La figure de la chouette trône au sommet de l’armature de fer qui lui confère son corps comme elle trônait au sommet du casque de la déesse grecque. L’œuvre peut être habitée, telle une caverne, elle protège le visiteur qui s’y rend sous le maillage de son armature de fer à béton ajourée. Ce casque est bâti comme une grotte, elle commémore la « fracassante révélation » que fut dans son enfance la découverte de la statuaire et des cavernes ornées préhistoriques. Cette œuvre s’inscrit aussi dans la continuité de l’intervention de l’artiste dans la grotte de Bédeilhac en Ariège où il a réalisé la sculpture Les larmes de l’éléphant, en 2019.
Pour la réalisation de ses sculptures, Lionel Sabatté conjugue l’économie de moyens de matériaux toujours rudes, revêches, résiduels, à un engagement, une dépense physique. Cet écart est permanent dans son œuvre qui ne cesse d’interroger l’équilibre du vivant et de l’inanimé. Que retenir quand tout s’effondre et comment le maintenir avec les matériaux du dérisoire ? Lionel Sabatté s’emploie à re-convoquer la figure animale ou humaine dans un strict arsenal d’outils déjà eux-mêmes rebutés et passés. La chouette dans sa dentelle de filasses, de béton et de tiges, s’érige donc comme un croquis dans l’espace, ne pouvant presque définir si elle s’écroule ou si elle s’envole, si elle protège ou annonce malheur.
Adélaïde Feriot est née à Libourne en 1985, elle vit et travaille à Paris. Son travail investit les mondes naturels et urbains et agit comme un réceptacle de sentiments. Qu’elle travaille in situ ou en atelier, elle questionne les liens entre humanité et environnement par le biais de la matière. La perception de son environnement naturel (tempêtes, vents bruissants, villes brumeuses, océans) devient une forme tangible à travers ses textiles teints et le moulage du métal.
Les textiles, teints à l’encre organique ou à la peinture acrylique, deviennent peintures de paysages abstraits et cohabitent avec les sculptures métalliques humanoïdes, fantomatiques et fragmentées, parfois activées par le chant ou la performance.
En tissant des allers-retours entre métal et textile, humain et minéral, organique et artificiel, Adélaïde Feriot explore le climat et la transformation corporelle. En poussant la figuration narrative aux portes de l’abstraction, l’artiste propose une interprétation visuelle et poétique de notre rapport contemporain à la vie.